L’heure de la retraite a sonné pour Pascal Marnotte (Cirad), spécialiste incontesté des mauvaises herbes sur canne à La Réunion. Pour Caro Canne, il partage ses réflexions sur la lutte contre l’enherbement, un enjeu majeur pour la filière.
Sur quels sujets avez-vous travaillé, à La Réunion, dans le domaine de la lutte contre l’enherbement ?
Pascal Marnotte : « J’ai été appelé une première fois sur l’île en 1999 pour faire un état des lieux des pratiques de désherbage en canne. En l’absence de tout référentiel technique, elles étaient alors hasardeuses, associant parfois de nombreux produits inutilement. En 2002, Jean-Jo Esther a été recruté pour mener des essais dans des exploitations afin d’homologuer des herbicides, je venais deux fois par an pour en interpréter les résultats, avant d’être affecté sur l’île de 2006 à 2009. Je suis revenu à La Réunion en 2017 pour développer les études floristiques sur les mauvaises herbes, afin de mieux connaître leur comportement. En effet, si l’on arrive à prévoir les espèces qui vont apparaître sur une parcelle et comment elles vont se développer, on pourra élaborer une stratégie de désherbage plus efficace. Marion Schwartz et Aude Ripoche vont prendre la suite et mettre au point un outil d’aide à la décision ».
La liste des herbicides autorisés continue de se restreindre. Sans ces produits, sera-t-il possible demain de lutter contre les mauvaises herbes ?
P. M. : « Le catalogue des produits utilisables se réduit pour des raisons variées, liées à des dangers avérés ou suspectés mais aussi à une méthode d’évaluation pour renouveler leur homologation qui n’est pas encore bien adaptée aux conditions tropicales.
Les produits chimiques sont donc moins facilement mobilisables pour lutter contre l’enherbement. Cela dit, même si des progrès ont été enregistrés dans la manière de les utiliser aux champs, il reste des efforts à faire pour mieux les choisir, mieux les doser et les appliquer correctement au bon moment. Mais les produits herbicides ne doivent plus être considérés comme la seule arme contre les mauvaises herbes. Les planteurs doivent passer à une gestion de l’enherbement plus en finesse, qui nécessitera davantage de travail, pour combiner les différents leviers existants de lutte contre les adventices ».
Quels sont ces leviers ?
P. M. : « D’abord le sarclage manuel, généralisé autrefois mais qui ne peut plus l’être aujourd’hui tant il nécessite de main d’oeuvre. Le levier le plus facilement utilisable est le maintien d’un paillis au sol. Le sarclage mécanique, avec des outils existants ou en cours de mise en point, réduit considérablement le temps de travail mais n’est pas possible en présence de paillis. On peut aussi imaginer de ne pas pailler sur l’inter-rang pour pouvoir le sarcler. Autres leviers potentiels : les plantes de service, qui occupent le terrain et empêchent les mauvaises herbes de pousser, l’épaillage en cours de cycle, le fanage du paillis qui arrache les plantules de mauvaises herbes, le désherbage thermique si les essais en cours sont concluants… Il reste encore des connaissances à acquérir sur l’efficacité de chacune de ces solutions et chaque agriculteur doit adapter son désherbage aux réalités de son exploitation ».
Un passionné de botanique
Issu d’une famille bourguignonne de houblonniers (cultivateurs de houblon), Pascal Marnotte aurait pu perpétuer la tradition. Mais sa passion pour la botanique a été la plus forte. En 1978, diplôme d’ingénieur agronome en poche, il est recruté par l’Irat (Institut de recherches agronomiques tropicales, qui allait devenir un département du Cirad), en quête d’un malherbologue pour sa station de Bouaké, en Côte d’Ivoire. Pascal Marnotte y restera treize ans. Il rejoint ensuite le Cirad à Montpellier, d’où il effectuera des missions dans tout le monde tropical, notamment dans les complexes sucriers africains. En 2006, il est affecté une première fois à La Réunion, nommé responsable de l’unité de recherche du Cirad sur la canne. Il repart trois ans plus tard, travaille à Montpellier et au Bénin avant de retrouver l’île en 2017. En ce mois d’avril 2021, il reprend définitivement la route de Montpellier, pour une retraite méritée après quarante-trois ans de malherbologie. « Je continuerai bien sûr à faire de la botanique », assure-t-il.